lundi 9 mai 2016

Mais que fait l’Europe de la santé ?

Omniprésente et si peu présente : telle est l’image que nous avons eu de l’Europe sur les questions de santé, à l’issue d’une semaine d’immersion à Bruxelles. Décryptage.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a rejeté le jeudi 4 mai le recours de plusieurs industriels du tabac contre la directive européenne anti-tabac. Belle victoire quand on connait le poids du lobbying des cigarettiers dans les sphères européennes! Le paquet neutre pourra donc se substituer aux paquets de cigarettes de marques et les cigarettes mentholées ne pourront plus être vendues en Europe. 

L’impact qu’auront ces deux mesures sur le comportement des fumeurs est controversé mais la volonté de l’Europe de lutter contre le tabagisme est, elle, clairement affichée. Un enjeu de taille quand on sait qu’un fumeur sur deux mourra d’une complication lié au tabac. Il faut aussi remercier l’Europe pour l’interdiction de fumer dans les cafés, restaurants, et discothèques depuis janvier 2008, suite à l’application de la précédente directive anti-tabac. Une mesure adoptée 3 ans plus tôt en Italie et suivie immédiatement par une baisse de 11% des infarctus à Rome.

Si l’impact de la règlementation européenne sur la santé des citoyens des Etats Membres (EM) est parlant pour le tabac, il n’en est pas de même pour de nombreuses autres décisions législatives européennes. Une opacité et une complexité difficiles à percer. A l’issue d’une semaine passée au cœur des institutions européennes, il nous est apparu que l’Europe joue un rôle de plus en plus important dans le maintien de la santé et de la qualité des soins dans les EM. Mais aussi que la complexité du système tripartite européen, impliquant des allées et venues entre la Commission Européenne, le Conseil et le Parlement laisse tout le loisir aux lobbyistes d’exercer leurs talents, malheureusement parfois au détriment de la santé des citoyens. Ainsi, quelques semaines après le scandale des tests des moteurs truqués de Volkswagen, l'Union Européenne (UE) a relevé les seuils d'émission de gaz polluant pour les moteurs diesel « dans les nouvelles procédures de tests en condition de conduite réelle, par rapport aux normes actuelles en laboratoire ». Une décision étonnante quand on sait que les gaz d’émission des moteurs diesel sont classés « cancérogènes certains » par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) depuis 2012.

Une législation assez peu contraignante

L’UE adopte différents types d'actes législatifs visant à atteindre les objectifs fixés. Certains s'appliquent à tous les pays de l'UE, d'autres uniquement à quelques-uns et le niveau de contrainte varie de l’obligation à la simple recommandation.


Cette souplesse législative fait que certains Etats préfèrent se dédouaner en payant des amendes plutôt que de transposer une directive européenne. Ainsi la directive européenne 2015-225 sur le temps de travail des internes n’est toujours pas respectée en France. Et pour reprendre l’exemple du paquet de cigarettes neutre, le spectre des élections présidentielles ne devrait pas faciliter l’application de cette directive anti-tabac.

Le principe de subsidiarité

Historiquement l’Europe n’avait pas vocation à s’occuper des questions de santé mais depuis le traité de Maastricht (1992) puis celui de Lisbonne (2009), les institutions européennes ont une compétence élargie en matière de santé. Le fait que les missions relatives à la santé soient dispatchées dans différentes directions générales (DG) de la Commission (SANCO : Entreprises et Industrie, Information et Médias, Recherche, Emploi et Affaires Sociales, REGIO : Fonds Européen de Développement Régional) prouve toute la complexité de l’implication de l’Europe en matière de santé. La DG SANCO, Santé et Consommateur, englobe des sujets allant des normes de contrôle sur les organes et substances d’origines humaines jusqu’aux problématiques de sécurité alimentaire. Et à cette complexité organisationnelle, s’ajoute le fait que les EM peuvent garder leur souveraineté au nom du principe de subsidiarité.
« Les crises successives : celles du sang contaminé, de la vache folle, du H1N1, du Médiator, des prothèses PIP nous invitent à revoir le principe de subsidiarité et de la nécessaire implication plus contraignante de l’Europe » suggère le Dr Yves Charpak, vice-Président de la Société française de santé publique (SFSP). « Mais pourtant, en matière de pilotage, de régulation, de gouvernance, notre pays se rêve encore souvent seul à bord. L’Europe est souvent évoquée de manière péjorative. »



Quel avenir à l’Horizon 2020 ?

Les deux domaines sanitaires où l'UE peut formuler des règlements contraignants sont les médicaments et les dispositifs médicaux. Certes avec l’Agence Européenne du Médicament les procédures centralisées d’enregistrement sont devenues la procédure courante mais le prix du médicament continue à se négocier au niveau national entre les industriels et les Etats, créant de grandes disparités entre les EM. Une situation qui pourrait évoluer tant le prix exorbitant des nouveaux traitements du cancer (de l’ordre de 100 000€ par an) ne permet plus aux pays d’assurer la pérennité du financement de leur système de soin. Une situation insoutenable tant pour les systèmes de paiement publics que privés.

Or la pérennité des systèmes de santé (sustainability en anglais) fait partie des 6 priorités sanitaires que s’est fixée l’Europe sous la présidence de Jean-Claude Juncker, dans son plan 2014-2020, communément appelé « Horizon 2020 ». A cela s’ajoute l’accompagnement du vieillissement de la population, la diminution de l’incidence des maladies évitables, la lutte contre les inégalités en matière de santé, la gestion des problèmes de santé publique nouveaux et émergents et le maintien de la sécurité sanitaire transfrontière.
Des objectifs ambitieux dotés d’un budget limité à 7,5 Milliards €, soit un peu moins de 10% de l’ensemble de l’enveloppe du plan Horizon 2020 (80 Milliards €).
Au final, notre système de santé est peut-être bien plus européen que ce que nos ministres de tutelle laissent transparaître mais il est bien difficile, pour un citoyen lambda, de savoir ce qui relève de l’autorité nationale ou de l’application d’une législation européenne supranationale en matière de santé. Si l’on en croit le taux d’abstention des Français de 58 % aux dernières élections européennes de 2014, nous sommes visiblement peu conscients du poids de l’Europe dans notre quotidien. La faute à Paris ou à Bruxelles ?

Auteurs : C Balaud, M Pascaud, A Cherkaoui, C Desmoulins, J Lespagnol.